De la langue française / chapitre 4

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L'ANCIEN FRANÇAIS DU IXème  AU XIIIème SIÈCLE

Deuxième Partie
La poésie lyrique
La littérature antique
La littérature courtoise 



Au début du XIIème siècle, les troubadours du sud de la France fondent la poésie lyrique qu'ils chantent en langue d'oc. Vers 1160, les trouvères, dans le nord, s'inspirent de la forme et des thèmes de la poésie occitane.
Apparaît alors une nouvelle représentation poétique de l'amour, la fin'amor, ou amor cortés (courtois), indissociable des vertus morales, laïques, religieuses et sociales qui font, des héros, des êtres épris de loyauté et de fidélité pour leur dame.
L'aristocratie est gourmande des aventures de ces nouveaux chevaliers courtois.

Influencés par les textes antiques que les clercs copient et commentent, les poètes traduisent et adaptent en français des romans inspirés de l'Antiquité : la vie d' Alexandre, le siège de Troie d'après des témoins ou prétendus tels, l'Iliade*, l'Énéide*, la Thébaïde* et des récits amoureux d'Ovide* qu'ils mettent au goût du jour. 

Le Roman d'Énéas, pour ne citer que celui-là, est considéré comme le roman français le plus ancien, écrit par un poète anonyme qui fait revivre, à sa façon, le poème l'Énéide mêlé des souvenirs d'Ovide. Il comporte plus de10 000 vers.

Extrait adapté :
La jeune Lavine (ou Lavinie) se laisse arracher par sa mère le secret de son amour pour Énéas. Ce qui n'est pas du goût de celle-ci qui la destinait à Turnus.

[... ]
- Dame, j'aime, je ne puis le nier, / vous devez me donner de bons conseils.
−    - Je le ferai, si tu me fais confiance. /Puisque ton c?ur est au supplice, / tu dois bien me dire pour qui.
- Je n'ose, madame, car je crois / que vous m'en voudriez : / vous me l'avez bien déconseillé, / vous m'avez bien mise en garde contre lui ; / mon intérêt pour lui s'en est accru : / Amour néglige les remontrances. / Si je vous nommais mon aimé, je craindrais de vous fâcher.
- Jamais, je le crois, n'a bien aimé / qui veut blâmer quelqu'un qui aime.
- J'aime, je ne puis plus le nier.
- Donc il n'a pas nom Turnus, ton ami ?
- Nenni, dame, je vous le garantis.
- Et comment donc ?
- Il a nom "é" »,
puis elle soupira et dit "né", et après un moment prononça "as", tout en tremblant elle le dit bas.
La reine se pourpensa (réfléchit) / et les syllabes assembla.
« Tu me dis "é" puis "né" et "as", / ces lettres sonnent Énéas.
- Vrai, dame, par ma foi, c'est lui.
- Il ne t'aura pas, Tournus ? 
- Nenni, je ne l'aurai pas pour seigneur, / mais à celui-là j'octroie  mon amour.
- Qu'as-tu dit, folle, insensée ? / Sais-tu vers qui tu t'es donnée ? / Ce misérable ne se soucie guère des femmes. / Il apprécie davantage l'amour des garçons, / il ne veut pas chasser la biche, / il raffole de la chair de mâle ; / Il aimera mieux étreindre son giton / que toi ou n'importe quelle autre. / Il ignore la chasse à la femelle, [... ]
La mère poursuit ses calomnies et ses arguments ne sont pas piqués des vers ! Elle cherche à faire croire à sa fille qu'Énéas ne pense pas à elle et lui rappelle qu'il abandonna Didon. Lavine se pâme sept fois mais ne change pas sa pensée pour Énéas.

A la même époque où sont écrits les romans antiques, que l'on devrait plutôt nommer "de l'Antiquité", apparaissent les romans bretons.
Qui ne connaît les légendes arthuriennes ? Les exploits du roi Arthur et de ses chevaliers de la Table Ronde, partant à la quête du Graal**. les péripéties de Camelot où entrent en conflit le roi, Lancelot et Mordred ! Nos écrans s'en donnent à coeur joie à mettre en scène et à parodier ces chers héros !
Et les amours tumultueuses de Lancelot et de Guenièvre, celles de Tristan et d'Yseut n'ont-elles pas laissé dans nos coeurs de profondes émotions ?
On trouve l'origine de ces légendes dans la mythologie des Bretons et des Celtes des îles Britanniques et de l'Armorique (région gauloise que les insulaires appellent Petite Bretagne).
 
Les romans de Tristan*** appartiennent à la seconde moitié du XIIème siècle.
L'histoire de Tristan et Iseut nous est parvenue par morceaux. Béroul, Thomas, Marie de France nous ont laissé des épisodes fameux.
 
"La dame chante dulcement,
Sa voiz accorde a l’estrument.
Les mains sont belles, li lais bons,
Dulce la voix et bas li tons."
Thomas

Voici quelques vers pathétiques de l'un des lais de Marie, Le Lai du Chevrefeuille écrit en anglo-normand :

[... ]
"D'euls deus fu il (tut) autresi
cume del chevrefoil esteit
ki a la codre se perneit :
quant il s'i est laciez e pris
e tut entur le fust s'est mis,
ensemble poënt bien durer ;
mes ki puis les volt desevrer,
li codres muert hastivement
e li chevrefoil ensement.
« bele amie, si est de nus :
ne vus sanz mei, ne mei sanz vus !»"

Traduction
"De ces deux, il en fut ainsi
Comme du chèvrefeuille était
Qui au coudrier s'attachait :
Quand il s'est enlacé et pris
Et tout autour du fût s'est mis,
Ensemble peuvent bien durer.
Qui plus tard les veut détacher,
Le coudrier meurt hâtivement
Et chèvrefeuille mêmement.
« Belle amie, ainsi est de nous :
Ni vous sans moi, ni moi sans vous !»"

Chrétien de Troyes (né vers 1135- mort vers 1185), le plus grand poète de l'époque, s'inspire de ces légendes pour nous donner Lancelot ou le chevalier à la charrette, Yvain ou le chevalier au lion, Perceval ou le conte du Graal. Un de ses admirateurs dit de lui qu'il savait "prendre le français à plein, tel qu'il lui venait en main", tant il combinait avec bonheur l'étrange, l'analyse, l'observation, dans un esprit gai et réaliste.

Voici un extrait de Perceval ou le conte du Graal :
La mère de Perceval, pour protéger son fils, l'a empêché de connaître le monde. Elle a perdu son mari et ses autres fils qui étaient chevaliers et veut à tout prix préserver son plus jeune enfant des dangers qu'il pourrait courir, ne lui révélant même pas son nom. Lorsque le jeune naîf entend venir des chevaliers, il les prend d'abord pour des diables, tant ils sont bruyants.

[... ]
"Mes quant il les vit an apert
Que del bois furent decovert,
Et vit les haubers fremianz
Et les hiaumes clers et luisanz
Et les lances et les escuz
Que onques mes n’avoit veüz,
Et vit le vert et le vermoil
Reluire contre le soloil
Et l’or et l’azur et l’arjant
Si li fut mout et bel et gent
Lors dist : « Ha ! sire Dex, merci !
Ce sont ange que je voi ci.»"
 
Traduction
"Mais quand il les vit à découvert, sortant du bois, et qu'il vit les hauberts qui bruissaient et les heaumes clairs et brillants, et les lances et les boucliers qu’il n’avait jamais vus, quand il vit le vert et le vermeil reluire au soleil, et l’or et l’azur et l’argent, le spectacle lui parut beau et magnifique . Alors il s'écria : « Ah Seigneur Dieu, pitié ! Ce sont des anges que je vois ici.»"
À partir de ce moment-là, Perceval n'a plus qu'une idée en tête, devenir chevalier.


 NOTES

*Homère, poète grec, VIIIème siècle avant J.C., auteur de l'Iliade et de l'Odyssée.

Des poètes latins :
*Virgile,70 -19 avant J.C. auteur de l'Énéide.
*Stace, né vers l"an 40, auteur de la Thébaïde
*Ovide, 43 avant J.C.-17 après J.C., auteur des Métamorphoses.

**Quelques mots sur le Graal.
Le Graal a, selon les textes, de nombreuses interprétations.
Dans la mythologie celtique, le Graal est un vase qui produit une nourriture conférant l'immortalité. Il deviendra, dans la légende arthurienne le Saint Graal, le calice qui a contenu le sang du Christ recueilli par Joseph d'Arimathie. Les Chevaliers de la Table Ronde partent à la quête du Saint Graal, mais seul un être pur pourra l'approcher. Ce sera Galaad, le fils de Lancelot.
Le thème du Graal a inspiré de nombreuses créations.
Je citerai Parsifal, l'opéra de Richard Wagner (1882), le film de Robert Bresson Lancelot du Lac (1974), celui d'Eric Rohmer Perceval le Gallois (1978).

***L'histoire de Tristan et Iseut, comme celles de tous les romans courtois, a dépassé, à l'époque, les frontières françaises et britanniques.
On la retrouve, par exemple, en Allemagne dans le roman de Gottfried von Straßburg dont s'est inspiré Richard Wagner pour écrire son sublime opéra Tristan und Isolde,1856-59.

"Isot ma drue, Isot m’amie,
En vos ma mort, en vos ma vie !"
Gottfried von Straßburg
(druerie ancien français pour amour / dru(e), amant, amante)

Je citerai, entre autres chef d'oeuvres, le film très poétique L'Eternel retour de Jean Delannoy, scénario de Jean Cocteau, sorti en 1943 et plus près de nous Tristan et Iseut le film allemand, tchèque, britannique et américain réalisé par Kevin Reynolds et sorti en 2006.
Le thème est loin d'être épuisé !

Et si d'aventure il vous prenait l'envie irrépressible de lire ou de relire l'histoire de ces deux amants, je ne saurais que vous conseiller de choisir Le Roman de Tristan et Iseut (1900) de Joseph Bédier, dont le style et l'écriture vous séduiront. L'auteur a repris tous les textes relatant cette histoire pour en faire son roman.

"Seigneurs, vous plaît-il d’entendre un beau conte d’amour et de mort ? C’est de Tristan et d’Iseut la reine. Écoutez comment à grand’joie, à grand deuil ils s’aimèrent, puis en moururent un même jour, lui par elle, elle par lui."
Joseph Bédier

Pour lire son roman, recherchez sur la toile :
Auteur Joseph Bédier, Wikisource

Je vous souhaite beaucoup de plaisir !
Mamiehiou

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