De la langue française / chapitre 10

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DE LA LANGUE FRANÇAISE / CHAPITRE 10
 
LE MOYEN FRANÇAIS DU XIVème AU XVIème SIÈCLE
 
TROISIÈME PARTIE
La Pléiade
Ronsard, Du Bellay, et les autres...
Défense et illustration de la langue française


 
« Un gentilhomme vendomois, Pierre de Ronsard, obligé dit-on par une surdité précoce, de renoncer à la cour, se remet à l'étude : pendant sept ans, avec un de ses amis, Antoine de Baïf, il travaille le grec et pratique les écrivains anciens sous la direction de l'helléniste Daurat ; il rêve de fabriquer à sa patrie une littérature égale aux chefs-d'oeuvre qu'il admire : il rencontre dans une hôtellerie Joachim Du Bellay, le doux angevin, plein des mêmes ambitions et des mêmes espérances. D'autres se groupent auprès de ces trois et Ronsard forme « La Brigade » qui bientôt et plus superbement devint « La Pléiade » : champions d'abord, astres ensuite de la poésie française. Avec Ronsard, Baïf et Du Bellay, Belleau, Ponthus de Thiard, Jodelle et Daurat complétèrent la constellation. »
La Pléiade est aristocratique et érudite.
(G. Lanson, histoire de la littérature française)
 
 
« Défense et illustration de la langue française »
 
Cet ouvrage capital et brillant, rédigé par Du Bellay en 1549, marque la fin de la poésie du Moyen Âge et annonce l'ère du classicisme. Ce manifeste est à la fois un pamphlet, un plaidoyer et un art poétique. Il contient les idées essentielles de La Pléiade.
 
Il faut, comme l'indique le titre, défendre la langue contre ces « reblanchisseurs de murailles », ces « latineurs » et « grécaniseurs » qui ont étudié le latin et le grec « à l'école à coups de verges » et qui sont fiers d'« avoir recousu et rabobiné je ne sais quelles vieilles rapetasseries de Virgile et de Cicéron ». C'est une critique des érudits qui n'écrivent qu'en latin et des imitateurs qui ne sont que des copistes et des traducteurs des oeuvres anciennes.
Il faut la défendre contre les ignorants qui ne savent que du mauvais latin. Seule l'étude apprend la façon qu'avaient les anciens de faire des chefs-d'oeuvre. L'étude cependant ne suffit pas, le poète doit avoir du génie.
 
Il faut illustrer la langue française en lui donnant ses lettres de noblesse. Ronsard et Du Bellay apprenaient l'italien et leur enthousiasme allait vers les oeuvres de Dante, Boccace, Pétrarque, l'Arioste. Ils voulaient donner à la langue française une grande littérature, comme l'avaient fait les Italiens qui avaient imité les « Anciens ».
 
Pour enrichir notre langue qui était pauvre alors, Du Bellay et Ronsard proposent, pour donner « grande majesté aux poèmes », de retrouver de vieux mots dont on a perdu l'usage et que l'on retrouve dans « tous ces vieux romans et poètes français », « principalement ceux du langage wallon et picard, lequel nous reste par tant de siècles l'exemple naïf de la langue française ».
 
« Use de mots purement françois, non toute fois trop communs, non point aussi trop inusitez, si tu ne voulois quelquefois usurper et quasi comme enchasser, ainsi qu'une pierre precieuse et rare, quelques mots insignes en ton poeme à l'exemple de Virgile. »
 
Ils conseillent d'emprunter des mots aux dialectes provinciaux, eux-mêmes venant du latin, « quand tu n'en auras pas trouvé de si bons et de si propres en ta nation », et aussi « tu composeras hardiment des mots à l'imitation des Grecs et des Latins ».
La langue devra s'étoffer des mots puisés dans le langage des métiers, qu'ils ne demeurent pas seulement celui des spécialistes, « toutes sortes d'ouvriers, et de gens mécaniques, comme mariniers, fondeurs, peintres, engraveurs et autres, savoir leurs inventions, les noms des matières, des outils et et les termes usités en leurs arts et métiers, pour tirer de là ces belles comparaisons et vives descriptions ».
On peut inventer des mots par provignement, en leur faisant reprendre racine. « Si les vieux mots abolis par l'usage ont laissé quelques rejetons, comme les branches des arbres coupés se rajeunissent de nouveaux drageons, tu pourras provigner, amender et cultiver afin qu'ils se repeuplent de nouveau. » Ainsi peut-on former des mots dérivés grâce aux suffixes.
Ils préconisent « la sage hardiesse d'inventer des vocables nouveaux, pourvu qu'ils soient moulés et façonnés sur un patron déjà reçu du peuple ».
 
Non seulement la recherche de mots nouveaux est nécessaire, mais il faut y ajouter celle des tournures et des figures de rhétorique pour « orner le style poétique ».
 
On reconnaît que Ronsard et Du Bellay ont fait preuve de prudence dans leurs conseils, insistant toujours sur le respect de l'harmonie de la langue et de son génie.
 
Je ne finirai pas cet article sans donner une oeuvre de Ronsard et une autre de Du Bellay, deux poèmes que nous aimons et qui chantent en nos mémoires, fines fleurs de notre patrimoine poétique.
 
 
Joachim Du Bellay (1522 - 1560)
 
Heureux qui comme Ulysse
 
Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage
Ou comme cestuy-là qui conquit la Toison,
Et puis est retourné plein d'usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !
 
Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m'est une province et beaucoup davantage ?
 
Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux,
Que des palais romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine.
 
Plus mon Loire gaulois que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la douceur angevine.

« Les Regrets »
 
NOTES
Un mot sur le recueil « Les Regrets ».
Forcé de rester à Rome auprès de son oncle le cardinal Jean Du Bellay qui est en ambassade pour le roi de France auprès du pape, il est son secrétaire et son intendant, Joachim Du Bellay compose des poèmes élégiaques où il évoque les lieux qui lui sont chers. « [son] petit village », « le clos de [sa] pauvre maison », « [son] Loire gaulois », « [son] petit Liré », « le séjour qu'ont bâti [ses] aïeux ». Au fil des vers, il les compare aux beautés de Rome qui l'ont déçu. Le « front majestueux » des « palais romains », « le marbre dur », le Tibre, fleuve qui traverse Rome, « le Mont Palatin », l'une des sept collines, « l'air marin »... n'ont pas autant de charme que ce qu'il a laissé.
Il lui plaît d'évoquer dans des sonorités très douces, fluides, bien faites pour faire naître la nostalgie dans nos coeurs, « l'ardoise fine », « la douceur angevine »...
 
Un mot sur Ulysse.
Ulysse, héros grec, mettra dix ans après avoir participé à la guerre de Troie, pour retourner dans son île, Ithaque, et rejoindre les siens, Pénélope sa femme et Télémaque son fils . Ce périple forcé qui sillonne la méditerranée est raconté dans « L'Odyssée » d'Homère.
 
Un mot sur un Argonaute fameux.
« cestuy-là qui conquit la Toison » (celui-là...) ici, c'est de Jason qu'il est question.
Dans la mythologie grecque encore, on rencontre Jason envoyé traîtreusement en Colchide pour aller chercher La Toison d'or. Il y rencontrera Médée, la magicienne, qui lui donnera des enfants. Elle les tuera pour se venger des amours coupables de Jason, mais ceci est une autre histoire... 
 
« Heureux qui comme Ulysse » a été mis en chanson par Georges Brassens et on peut en entendre une version par Ridan.
A écouter sur leur site.
 
 
Pierre de Ronsard (1524-1585)
 
A Cassandre

Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avoit desclose
Sa robe de pourpre au Soleil,
A point perdu ceste vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vostre pareil.

Las ! voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las ! las ses beautez laissé cheoir !
Ô vrayment marastre Nature,
Puis qu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !

Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que vostre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez vostre jeunesse :
Comme à ceste fleur la vieillesse
Fera ternir vostre beauté.
 
Ode à Cassandre
 
NOTES
Ronsard, Prince des poètes et poète des princes, reste surtout célèbre pour ses odes et ses sonnets où il a célébré ses amours, Hélène, Marie, Cassandre, et, avec elles, la fuite du temps, la jeunesse perdue.
 
Dans le poème :
desclose, ouvert.
ceste vesprée, ce soir.
 
Nous ne pouvons que remercier de tout coeur ceux qui ont eu le courage, à force d'études, de passion et de génie, de prendre à bras le corps, malgré les critiques et les résistances, ce travail qui paraissait impossible, ce défi qui allait changer notre langue, pour la défendre, et l'illustrer.
 
Bien cordialement vôtre,
Mamiehiou

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