De la langue française / chapitre 3

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L'ANCIEN FRANÇAIS DU IXème AU XIIIème SIÈCLE
Première partie
Les cantilènes – Les chansons de geste


C'est à la fin du IXème siècle qu'apparaissent les premiers écrits en roman, l'ancêtre de l'ancien français. Ils sont destinés à l'édification des fidèles chrétiens qui n'ont entendu jusque-là que des prédications en latin.

Il est probable que le tout premier texte poétique est La Séquence de Sainte Eulalie, appelé aussi La Cantilène* de Sainte Eulalie :

"Buona pulcella fut Eulalia.
Bel auret corps bellezour anima.
Voldrent la ueintre li d[õ] inimi.
Voldrent la faire diaule seruir.
Elle nont eskoltet les mals conselliers.
Quelle d[õ] raneiet chi maent sus en ciel.
Ne por or ned argent ne paramenz."
[...]"

Traduction
Bonne pucelle fut Eulalie.
Beau avait le corps, belle l'âme.
Voulurent la vaincre les ennemis de Dieu,
Voulurent la faire diable servir.
Elle, n'écoute pas les mauvais conseillers :
"Qu'elle renie Dieu qui demeure au ciel !"
Ni pour or, ni argent ni parure,
[...]"


Seule la paix des cloîtres permet l'écriture des textes en langue vulgaire. La France est trop tourmentée par le malaise politique qui a suivi le partage de l'empire de Charlemagne, par les invasions normandes, par les guerres entre seigneurs rivaux, pour que les esprits puissent se consacrer à ce que l'on pourrait appeler la littérature.
Impossible d'imaginer à quoi ressemblait la langue orale quotidienne de cette époque. Les textes, en vers, sont écrits par des clercs soucieux de suivre des conventions très strictes.

A partir du XIème siècle naît un sentiment national et mystique.
Les poètes célébrent la première croisade (1095-1099) et ils évoquent les exploits fameux de Charlemagne et de Guillaume d'Orange.
Les premiers chefs-d'oeuvre retracent un passé grandiose. Ce sont les chansons de geste**.
Ces textes ne se contentent pas de retracer une époque passée, mais ils créent un monde idéal, un univers épique où les héros, hommes au grand coeur, jouissent d'une force colossale, leurs exploits étant auréolés du merveilleux chrétien***.
Il reste dans notre mémoire quelques épisodes de l'épopée de La Chanson de Roland que nous avons rencontrée à l'école ou ailleurs, dans des films comme celui de Frank Cassenti, La Chanson de Roland (1978). 
L'évocation du héros, Roland, magnifié par les poètes, ne nous laisse pas insensible.

Voici un extrait de La Chanson de Roland qui relate la mort du preux chevalier.
Charlemagne rentre en France par les défilés des Pyrénées. Il quitte l'Espagne, espérant la paix retrouvée avec le calife Marsile, roi des Sarrasins. Le comte Roland, à l'arrière-garde, est attaqué à Roncevaux, victime de la trahison de Ganelon, l'émissaire de l'Empereur. Mortellement blessé, Roland a tenté vainement de briser sa fidèle épée Durandal.

CLXXVI 
“Li quens Rollant se jut desuz un pin,
Envers Espaigne en ad turnet sun vis,
De plusurs choses a remembrer li prist.
De tante tere cum li bers conquist,
De Dulce France, des humes de sun lign
De Carlemagne, sun seignor, kil nurrit,
Ne poet muer, n'en plurt, e ne suspirt,
Mais lui meisme ne volt mettre en ubli,
Cleimet sa culpe, si priet Deu mercit:
Veire Patene, ki unkes ne mentis,
Seint Lazaron de mort resurrexis,
E Daniel des leons guaresis,
Guaris de mei l'anme de tuz perilz
Pur les pecchez que en ma vie fis.
Sun destre guant a Deu en puroffrit,
Seint Gabriel de sa main l'ad pris.
Desur sun braz teneit le chef enclin,
Juntes ses mains est alet a sa fin.
Deus tramist sun angle Cherubin
Ensembl od li seint Michel del Peril,
Ensembl'od els sent Gabriel i vint,
L'anme del cunte portent en pareis."
 
Traduction de Joseph Bédier :
Le Comte Roland est couché sous un pin. Vers l'Espagne il a tourné son visage. De maintes choses il lui vient souvenance : de tant de terres qu'il a conquises, le vaillant de douce France, des hommes de son lignage, de Charlemagne, son seigneur, qui l'a nourri. Il en pleure et soupire, il ne peut s'en empêcher. Mais il ne veut pas se mettre lui-même en oubli ; il bat sa coulpe et implore la merci de Dieu : "Vrai Père qui jamais ne mentis, toi qui rappelas Saint Lazare d'entre les morts, toi qui sauvas Daniel des lions, sauve mon âme de tous les périls, pour les péchés que j'ai faits dans ma vie !" Il a offert à Dieu son gant droit : saint Gabriel l'a pris de sa main. Sur son bras il a laissé retomber sa tête. Il est allé, les mains jointes, à sa fin. Dieu lui envoie son ange Chérubin et saint Michel du Péril ; avec eux y vint saint Gabriel. Ils portent l'âme du Comte en Paradis.
 

Victor Hugo, au XIXème siècle s'inspire de cette chanson dans son poème Le Mariage de Roland qui fait partie du recueil La Légende des Siècles.
Se dressent l'un contre l'autre, dans un combat singulier, les valeureux chevaliers ennemis, Roland et Olivier :

"Ils se battent — combat terrible ! — corps à corps.
Voilà déjà longtemps que leurs chevaux sont morts ;
Ils sont là seuls tous deux dans une île du Rhône,
Le fleuve à grand bruit roule un flot rapide et jaune,
Le vent trempe en sifflant les brins d’herbe dans l’eau.
L’archange saint Michel attaquant Apollo
Ne ferait pas un choc plus étrange et plus sombre ;
Déjà, bien avant l’aube, ils combattaient dans l’ombre.
[...]"
Et de ce combat surhumain dont aucun des deux héros, ni Roland ni  Olivier, ne sort vainqueur, naît une solide amitié scellée par les derniers vers du poème :
"[...]
"Écoute, j'ai ma sœur, la belle Aude au bras blanc,
Épouse-la.
 — Pardieu ! je veux bien, dit Roland.
Et maintenant buvons, car l’affaire était chaude."

C'est ainsi que Roland épousa la belle Aude."

Victor, mon amour de petit-fils, sais-tu que c'est grâce à ce vers-là que j'ai appelé ta maman Aude ?
Mamiehiou

NOTES

*Au Moyen Âge, la cantilène désigne un court poème lyrique et épique, toujours chanté.

**La chanson de geste est un ensemble de poèmes narratifs chantés qui retracent une épopée, de hauts faits qui appartiennent au passé.
La geste vient du latin gesta qui signifie les exploits.
Ces poèmes sont composés de strophes appelées laisses. Le mètre du vers est le décasyllabe.

***Le merveilleux chrétien est indissociable de la littérature du Moyen Age. Dieu, les saints, les anges interviennent dans le déroulement du récit.


À suivre...

Mamiehiou

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