Short Pieces / Routage, quatrième

Routage quatrième

C’est pourtant écrit, blanc sur gris : «  La voiture Morgan AeroMax a inspiré la création de la montre Morgan Aero Bang en céramique et tungstène. » Et ça continue par : «  La synergie entre les maisons Hublot et Morgan se traduit par un même souci de l’ouvrage minutieux et de l’esthétique sobre et originale. » Pour terminer par : «  Une complicité qui se retrouve également dans l’exploitation et la fusion des matériaux, dans la vocation sportive et dans la manufacture artisanale de leur production. » 

Voilà. 

Tout en dit. En peu de mots. 

Pour illustrer le propos, on voit effectivement, en noir et blanc très classe, un bolide fin et racé tout en courbes harmonieuses ainsi qu’une fabuleuse montre objet aux rouages délicats et au mécanisme apparent caché en un subtil et tout suisse montage. 

Les boutiques sont à Berlin, Budapest, Cannes, Genève, Moscow, Paris, Prague, St-Tropez, Verbier et Warsaw. 

«  Au moins, si on veut en acheter une, on sait où c’est ! » m’assène Hacène. Il est à l’autre bout de la chaîne de routage. 

Les magazines «  Stiletto » défilent devant moi. Sans s’arrêter. Comme pour me narguer. 

Je regarde l’heure à ma montre – Géonaute, 10 euros chez Décathlon, boutique à Villars. Il n’est que 19 h. Encore trois heures de tatoum tatoum. 

Bon… Ne pas trop penser, surtout. Être un mécanisme humain, efficace et neutre - doigts, main, poignet, avant bras, coude et bras épaule - au service d’une autre mécanique - pignons, rouages, raccords et flexibles. Le tout en mouvements précis et bien ordonnés. Sur l’écran du poste de contrôle, les chiffres bleus, en gros, s’affichent et clignotent : 23 628 – 23 627 – 23 625 – ce qu’il reste à faire. Et 26 372 – 23 673 – 23 674 – ce qui a déjà été fait. 

21h 55. Enfin. Un dernier long psscccchhhht. Arrêt des machines. J’ôte les bouchons de papier de mes oreilles. Silence. Presque incongru. Bienvenu. Etrange. Ouaté. 

Filer au vestiaire. Se changer. Enfourcher la bicyclette. Autre mécanique, mais muette et calme. À mes ordres. Pas tout à fait un bolide aux lignes épurées et fluides. Puis partir. Pédaler lentement, en souplesse. La nuit est glaciale. La ville s’endort, figée dans le froid d’un rude hiver. Au bout de quelques hectomètres, retrouver cette magie des muscles en mouvement. Ils s’ébrouent, loin du piétinement des huit verticales dernières heures. Légère montée. Je suis maintenant tout tiède, là en dessous, sous les épaisseurs de vêtements thermiques. Descente. L’air siffle. Me gifle le visage. 

Liberté. 

Enfin.